CHRONIQUE SUR MORT A CRÉDIT INTERPRÉTÉ PAR STANISLAS DE LA TOUSCHE
L’allée pavée de la rue blainville nous immerge dès les premiers pas dans le paris célinien du début de siècle dernier. Les touches lumineuses de la place de la contrescarpe rappelleraient presque le passage choiseul de son enfance et transformeraient les lieux en une « cloche à gaz » nocturne. C’est le Théâtre littéraire du même nom qui accueille le comédien Stanislas de la Tousche pour interpréter « Mort à crédit », le deuxième roman de Louis Ferdinand Céline. Le metteur en scène, Géraud Bénech, a eu l’intuition de le choisir à l’orée de sa carrière pour sa ressemblance troublante avec l’auteur, mais pour y incarner tout de même ce qu’il y a de plus intime et originel chez l’homme : son enfance.
La mise en scène est simple et boisée, à l’image du siècle dernier. Peut-être était-ce la fatigue de la multiplicité des représentations, mais l’on a pu sentir une entrée hésitante, peu convaincante. L’on sent le travail au niveau de l’attitude et la volonté farouche de se glisser dans la peau de l’auteur, mais les premières minutes ne sont pas aussi impactantes que l’aura si singulière du professeur destouches. Une diction lente et boîteuse, presque surjouée. Le texte néanmoins nous amène avec lui peu à peu et arrive – ça et là – à emporter la salle avec son humour. La Projection d’images en toile de fond permit à l’ensemble des spectateurs de se projeter dans un Paris qui n’est malheureusement plus le nôtre. Puis, par un coup de génie théâtral, la voix de Louis Pawels sort par à-coups d’un vieux tourne disque pour donner la réplique au comédien qui se transforme littéralement : les mimiques, le regard habité et soucieux de tout, accablé par une lucidité excessive sur le monde, et cette voix chevrotante qui se mêle à un argot savant et faubourien. Nous voilà face à la quasi-réincarnation du professeur éreinté, qui a vécu les deux guerres mondiales, mais également subit la fronde après-guerre suite à son passé tumultueux. Nous sommes deux ans avant sa mort, et la célébrissime interview se déroule à nouveau sous nos yeux, 65 ans plus tard.
C’est avec finesse que le comédien retombe sur son texte, plein de vie et de sexualité adolescente, fidèle à la verve du romancier le plus oratoire de son époque. On comprend mieux pourquoi, même si elle est une mort prise à crédit, la banque de nos vie mérite d’être sollicitée. Un bon moment de théâtre.
Mehdi Kenly